13
fév.
2021
Vendredi 12 février était invité dans la matinale de France inter Laurent Tillon, présenté comme chargé de mission biodiversité à l’ONF, membre du Conseil National de la Protection et de la Nature et auteur de Etre un Chêne, sous l’écorce de Quercus (Actes Sud). Ce dernier n’est pas un ouvrage de vulgarisation mais appartient au genre du nature writing, présenté par son éditeur comme un texte nourri de science, de poésie et de philosophie
.
Dans cet entretien, Laurent Tillon évoque les substances volatiles des feuilles qui aident la plante à se défendre. Ce qu’on appelle aussi parfois les phytoncides aurait un effet sur le système immunitaire des vertébrés : j’emploie le conditionnel et j’ajoute que ces hypothèses sont controversées, comme le montre l’article Wikipédia correspondant mais des résultats ont été publiés par des équipes des universités Chung-Hsing (Taiwan) et de Taiwan montrant qu’elles réduiraient le stress et l’anxiété chez les souris, et par des équipes des universités de Stanford et d’Osaka sur des effets significatifs sur l’activité des lymphocytes NK8 et donc l’immunité innée chez l’Homme. Laurent Tillon évoque d’abord les vertébrés puis explique que quand on va se promener en forêt, on gagne en immunité
. Il est possible de douter des extrapolations qui sont faites (passer de résultats in vitro à des conclusions concernant une promenade en forêt) mais d’autres travaux par des universités coréennes montrent que les effets bénéfiques des promenades en forêt sont bien réels (exemple).
Puis il continue en expliquant que les feuilles qui se cicatrisent émettent des ions négatifs, des petits champs électriques, pour solliciter le renouvellement des feuilles, lesquels ont la propriété de réduire le cortisol
qui est l’hormone du stress. Ce passage se termine ensuite sur les habitudes de promenades en forêt des japonais (le “shinrin-yoku”) et le fait qu’on peut toujours enlacer un arbre, on ne risque rien.
Face à ce passage radio, plusieurs réactions sont possibles. Se dire qu’effectivement, la balance bénéfice-risque est très favorable et que ce conseil santé semble épris de bon sens. Se dire aussi qu’on découvre des pratiques culturelles japonaises qui excitent notre curiosité. Ou se dire qu’il s’agit là de notions qu’on ignorait et vouloir creuser cette littérature scientifique (comme je l’ai fait ci-dessus). Mais en tweetant ce passage retranché de ses dernières secondes de rigolade en mode ça ne fera de mal à personne, on peut s’y essayer, il n’y a aucun risque
, France inter a suscité de très nombres réactions en mode “bullshit alert” de la part de journalistes ou vulgarisateurs à tendance rationaliste (La Tronche en biais, François-Marie Bréon, Emmanuelle Ducros), des chercheurs (en chimie, en physique, en biologie…), des vidéastes comme Cyrus North (spécialiste en vulgarisation de la philosophie), des personnalités défendant une idéologie conservatrice (Gilles Clavreul, Amaury Brelet), des ingénieurs… Cette unanimité (642 réponses, 626 reweets avec commentaire) était très impressionnante et m’a tout de suite frappé, comme elle a marqué un chercheur en physico-chimie affirmant ne pas trop comprendre tous les collègues qui sont tombés
sur lui.
En effet, cette réaction massive n’est pas celle que j’aurais attendue, mais plutôt quelque chose comme « tiens, ce qu’il raconte m’étonne beaucoup, dommage qu’il n’apporte pas de preuve mais essayons de se renseigner. Allez les tweetos, que sait-on de la sylvothérapie et de l’effet des ions sur l’immunité ? ».
Sur quoi ont porté les critiques ? C’est très très difficile à dire puisque les tweets n’apportaient souvent aucune contradiction. Laurent Tillon se fait traiter d’illuminé, ses théories sont farfelues
, et France inter aurait perdu la boule
. Certains admettent qu’en étant absolument pas spécialiste, ce genre discours m’inquiète un peu
. Et du côté des vulgarisateurs et scientifiques ? Eh bien c’est la même chose : certains essayent de comprendre ce dont il est question et se demandent si ça aurait un rapport avec un certain procédé de production d’électricité à partir d’arbres mais la plupart sont juste scandalisés et protestent sur cette désinformation à une heure de grande écoute.
À froid, certains modèrent leurs propos et admettent que c’est un poil suspect
, qu’il s’est pris les pieds dans le tapis
et que le terme champ électrique a pu être une maladresse pour vulgariser le terme ion : renseignons-nous avant de faire des grandes déclarations…
. Il me semble que la bonne attitude serait la prudence, éventuellement du scepticisme, mais sur un domaine si spécialisé je doute que tous ceux qui ont réagi l’ont fait en connaissance de cause. Que les scientifiques réagissent comme les autres, en mode je ne comprends peut-être pas tout ce dont il parle mais ça me semble être du bullshit donc c’en est probablement
, voilà ce qui me choque. Je ne dis pas qu’il a parfaitement raison ou que quelques publications suffisent à lui donner raison ; mais je dis qu’un travail minimal de vérification était nécessaire avant de dégainer.
JIl me semble que les réactions auxquelles nous avons assisté sont une mauvaise dérive de la vulgarisation scientifique et des conversations sur les réseaux sociaux. Attention, j’essaye d’expliquer mais sans jugement. Je me contente d’observer ce qu’est devenu le travail de vulgarisation et d’explication des sciences qui me mobilisait, mes semblables et moi, quand nous avons commencé à faire d’internet notre terrain d’expression. En effet, voilà plus de dix ans que je défends le droit des blogueurs de science à parler ce dont ils ne sont pas spécialistes, à condition de faire le travail d’enquête et de lecture critique de la littérature scientifique, et à condition d’accepter les critiques et les commentaires. Mon meilleur exemple c’était ce billet du Bacterioblog (un blog spécialisé en bactériologie et évolution) qui démontrait que non, ce n’était pas absurde d’observer une baisse des infarctus du myocarde après un mois d’interdiction de fumer dans les lieux de convivialité. Bien que non spécialiste, ce blogueur avait fait le travail de recherche nécessaire pour contrer un lieu commun. Et aujourd’hui, on observe des non spécialistes qui tweetent sans source et sans justification pour contrer une parole semi-experte (l’auteur s’étant documenté pour écrire son livre et possédant une thèse en écologie forestière). Même si cette question est complexe car pluridisciplinaire (la biophysique des ions, la chimie de l’atmosphère, les neurosciences du cortisol, la biologie des feuilles), est-ce qu’on n’aurait pas dû s’attendre à un ou deux debunking un peu plus documentés ? Ceux qui ont fait cet effort ont montré par exemple que dans les arbres et tout autour d’eux, la densité de charge électriques n’est pas nulle et on a donc des concentrations d’ions dans l’air
ou que il existe des travaux scientifiques publiés (essentiellement japonais à ma connaissance) qui vont en ce sens
.
Je ne veux pas surinterpréter cet épisode mais il montre, selon moi, que 1/ les discours qui peuvent sonner “new age” ne passent plus et qu’aucun crédit ne leur est accordé par une grande partie de la communauté scientifique et 2/ que cette même partie de la communauté scientifique ne se prive plus de juger en deux secondes ce qui est vrai et ce qui est faux, comme le ferait n’importe qui et 3/ qu’on ne suspend plus assez son jugement face à un exposé. Cette analyse étant aggravée par le fait que a/ ce n’est pas la première fois que France inter donne la parole à des auteurs de livre en promo qui tordent la science pour produire des énoncés (d)étonnants et que b/ au sortir d’une crise Covid qui aura largement agité les radars anti-bullshit des vulgarisateurs scientifiques, ceux-si sont désormais beaucoup plus prompts à dégainer. Certains ont pu laisser entendre qu’une affirmation extraordinaire ne peut pas être assénée sans preuve. Mais, si j’accepte cet argument pour Avi Loeb et ses déclarations sur l’astéroïde Oumoamoa, j’estime ici qu’il n’y a rien de très extraordinaire !
En conclusion, je voudrais qu’on admette collectivement que tout n’était pas faux dans ce qui est raconté par Laurent Tillon, que la nuance est le meilleur allié de la crédibilité scientifique, et qu’il existe des questions scientifiques sur lesquelles les français sont peut-être moins bien informés que des chercheurs asiatiques… Je voudrais aussi réveiller mes camarades vulgarisateurs qui se gaussent de l’ultracrépidarianisme de certains scientifiques abonnés aux plateaux télé : attention, en réagissant vous aussi à chaud sur des sujets dont vous n’êtes pas experts, vous rapprochez dangereusement de ce travers que vous dénoncez…
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