J’ai lu très exactement 20 romans en 2018, en baisse continue depuis 2015 ! De tous ces romans, goût personnel oblige, un nombre non négligeable est à consonance scientifique. Voici une sélection personnelle de ceux dont je recommande la lecture (et, pour mémoire, les listes de 2014, 2015, 2016 et 2017) :

N° 9 : ReVISIONS coordonné par Julie E. Czerneda et Isaac Szpindel, 2004

Et si la découverte du laser ou de la génétique était arrivée plus tôt dans l’Histoire ? Et si l’on ignorait tout de la domestication du chien ou de la structure du système solaire ? Et si les Sumériens avaient inventé l’imprimerie et les Américains avaient rendu Internet illégal ? Ce recueil montre que l’uchronie, puisque c’est de ce genre qu’il s’agit, se marie bien à l’histoire des sciences. Mon goût personnel m’a porté particulièrement vers les nouvelles mettant en scène Nikola Tesla, ou Dr. Joseph Bell et Arthur Conan Doyle.

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N° 8 : Lab Girl de Hope Jahren, 2016

Ce récit autobiographique d’une géobiologiste et géochimiste américaine, encensé par la critique, m’a laissé sur ma faim. Les anecdotes se succèdent à un rythme effréné, la vulgarisation est réduite à la portion congrue, et le tout manque de poésie ou d’une vision singulière de la science. Dans ce genre, Seed to Seed reste indépassable. J’ai néanmoins apprécié de découvrir ces disciplines très transverses qui mèlent analyses chimiques et isotopiques, histoire de la Terre et de son climat, étude du sol et du sous-sol, et biologie des organismes ; et l’auteure a le mérite de ne rien cacher de son début de carrière très chaotique, semé d’embûches mais pas de financements.

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N° 7 : Le Sommeil de la raison de Juan Miguel Aguilera, 2006

Les sorcières étaient considérées par l’historien Jules Michelet comme des précurseurs médiévales des scientifiques, mues par le désir de savoir et s’occupant des naissances, de la mort et de la sexualité : La sorcière a péri, devait périr. Comment ? Surtout par le progrès des sciences mômes qu’elle a commencées, par le médecin, par le naturaliste, pour qui elle avait travaillé. Dans ce roman situé en Europe en 1516, nous suivons un membre du clergé, le jeune roi Charles Quint, un jeune intellectuel proche d’Erasme — Juan Luis Vives — qui élabore le premier traité de psychologie, et une sorcière donc… Détonnant croisement de visions du monde au début de la Renaissance.

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N° 6 : L’Agonie du globe de Jacques Spitz, 1935

Ce roman d’anticipation, qui m’a été recommandé par Alexandre Moatti, met l’humanité face à sa perte : alors que la Terre se scinde en deux, tous les regards se tournent vers les scientifiques pour expliquer ce qui arrive et prévoir ce qui va arriver. Alors, un curieux mouvement se fit jour dans l’opinion des foules : elles firent grief aux hommes de science de leur impuissance, de même que le malade en veut au médecin qui ne peut le guérir. Était-ce la peine, se disait-on, d’entretenir à grands frais des Universités, des Laboratoires, des Facultés, pour n’en tirer que des parlotes sans efficacité ? Le ressentiment de l’homme moyen peut s’évaluer au détail suivant : lors d’une journée des laboratoires qui, selon la coutume, fut organisée en Angleterre au profit de l’Université de Cambridge, l’appel fait à la charité publique, au lieu des milliers de livres sterlings attendus, ne donna que des shillings. En France on disait péremptoirement : “Le monde n’a pas besoin de savants”.

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N° 5 : The Need for Better Regulation of Outer Space de Pippa Goldschmidt, 2015

Inédit en français, ce recueil de nouvelles alterne entre les grandes figures historiques (Oppenheimer, Einstein, Turing…) et des récits contemporains de laboratoire. Toujours poétiques, toujours inventives, les histoires de Goldschmidt (qui est docteure en astronomie et a reçu plusieurs bourses d’écriture dans des laboratoires de recherche) parviennent à faire toucher du doigt la nature du travail scientifique sans s’interdire la métaphore, la rêverie… qui donnent un supplément d’âme à ce recueil.

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N° 4 : Le Rêve de Galilée de Kim Stanley Robinson, 2009

Dans ce roman, le grand auteur de SF Robinson jongle entre récit historique et space opera. La deuxième partie m’a laissé assez froid, par contre le travail historique est remarquable pour comprendre le caractère de Galilée et ses démêlés avec l’Inquisition jusqu’à sa condamnation en 1633. Le tour de force de Robinson est, notamment, de citer de longs extraits des écrits de Galilée (qu’on lit rarement, avouons-le) ! Apparemment la traduction française est truffée de mauvaises interprétations physiques, comme moi préférez donc la version originale en anglais.

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N° 3 : The Sky’s Dark Labyrinth de Stuart Clark, 2011

Stuart Clark est docteur en astrophysique et un des auteurs les plus renommés sur ce sujet en Grande-Bretagne. Dans ce premier roman d’une trilogie, non traduite en français, il se mêle d’histoire des sciences pour nous conter en parallèle les combats menés par Johannes Kepler et Galileo Galilei pour comprendre les astres et sortir d’une interprétation fantaisiste (celle d’Aristote) ou religieuse (celle de la Bible) de la voûte céleste. Le résultat est très réussi, avec le même souci de véracité historique que chez Kim Stanley Robinson, mais sans sa fantaisie et avec deux personnages historiques au lieu d’un. Les deux tomes suivants de la trilogie s’intéressent à Isaac Newton et à Albert Einstein, un bon moyen de parcourir plusieurs siècles d’histoire de la physique !

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N° 2 : Samedi de Ian McEwan, 2005

Ian McEwan, habitué de ce classement, apparaît pour la troisième fois après Délire d’amour et Solaire. Ce roman met en scène un neurochirurgien réputé, qui devrait se tirer de situations compliquées au cours d’une seule et même journée. Encore une fois, l’auteur se documente le plus possible, en l’occurrence sur la technique chirurgicale et les concepts scientifiques. Extrait : il reste en partie dans son rôle de praticien capable de diagnostiquer un manque de maîtrise de soi, une émotivité excessive, un tempérament explosif sans doute dû à un taux insuffisant de GABA sur les récepteurs spécifiques de certains neurones. D’où, certainement, une incidence négative sur la présence de deux enzyme dans le corps strié et le pallidum latéral — l’acide glutamique décarboxylase et l’acétylcholine. Pour une large part, les rapports humains se jouent au niveau moléculaire.

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N° 1 : Le Traquet kurde de Jean Rolin, 2018

Le Traquet kurde nous entraîne dans une exploration ornithologique, à la recherche de l’oiseau du même nom. De la Turquie au Banc d’Arguin en passant par le Puy de Dôme et la Jordanie, le lecteur découvre tout l’exotisme de ces observations documentées, le scandale de quelques voleurs et faussaires notoires, et le folklore des revues et ouvrages spécialisés. En voici un extrait significatif : Dans le compte-rendu de ce séjour, s’étendant sur les mois de mars, avril, mai et juin 1959, qu’à son retour il publie dans la revue Alauda (et dans lequel plusieurs notes, relatives par exemple à la reproduction du goéland railleur dans le golfe Persique, renvoient au chef-d’œuvre de Mainertzhagen, Birds of Arabia), le père de Naurois, malheureusement, se conformant aux usages des revues scientifiques, ne dit rien de ses conditions matérielles d’existence – que mangeait-il, où dormait-il, comment disait-il la messe, car il est certain qu’il la disait, dans cet environnement –, même s’il mentionne une “vedette”, sans doute mise à sa disposition par l’administration, qui dut faire office de camp de base pendant la durée de l’expédition.

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