Quelques réflexions à propos de l'affaire Voinnet
15
avr.
2015
Depuis le mois de janvier, le biologiste des plantes Olivier Voinnet est dans la tourmente. Sur le site de commentaires par les pairs post-publication PubPeer, ce sont près de 40 articles étalés sur plus de 15 ans qui sont pointés du doigt. En cause, des données qui semblent trafiquées, notamment des figures de résultats expérimentaux qui semblent avoir été montées de toutes pièces sous Photoshop. Alors, fraude ou négligence ?
Sans hurler avec les loups, Olivier Voinnet et al. semblent avoir été négligents dans un un grand nombre de publis https://t.co/NT0fqZACqy
— Antoine Blanchard (@Enroweb) 18 Janvier 2015
Olivier Voinnet nommé à l'Académie des sciences. Je me demande ce qu'ils feront si les soupçons de fraude sont avérés http://t.co/YRfI2Asxsx
— Antoine Blanchard (@Enroweb) 29 Janvier 2015
Nous étions encore à nous interroger quand, le 1er avril, une chercheuse du même domaine témoignait sur le site PubPeer des aléas d’un article d’Olivier Voinnet dont elle s’est retrouvée rapporteuse à trois reprises (deux fois l’article fut refusé, pour être accepté la troisième fois). Elle raconte ainsi que les auteurs ont fait dire différentes choses aux mêmes figures, jetant le trouble sur l’authenticité de leur travail et leur intégrité. Et le 7 avril, Vicky Vance rendait public son rapport de relectrice de l’époque.
Le 9 avril, le CNRS (qui emploie Olivier Voinnet, où il est Directeur de recherche 1e classe) et l’ETH de Zürich (où il est détaché et dirige une équipe d’une trentaine de personnes) annonçaient installer chacun une commission d’enquête composée d’experts indépendants afin de faire toute la lumière sur ces accusations. Il suffit donc désormais d’attendre leur rapport ?
Ce n’est malheureusement pas si simple, et il y a plusieurs raisons d’être inquiet.
D’une part, alors que le CNRS et l’ETH verrouillaient la communication de crise et interdisaient aux protagonistes de communiquer pendant le travail des commissions d’experts, ces deux institutions ne purent s’empêcher d’aller au-delà du factuel dans leur communiqué de presse, pour exprimer leur avis sur les reproches formulés à l’encontre d’Olivier Voinnet :
Indépendamment des travaux de cette commission, le CNRS constate à ce stade que les mises en cause publiques ont porté sur la présentation de certaines figures, mais qu’à sa connaissance, aucune déclaration n’a remis en cause les résultats généraux obtenus par Olivier Voinnet et ses collaborateurs sur le rôle des petits ARN dans la régulation de l’expression des gènes et la réponse antivirale, résultats par ailleurs confirmés à plusieurs reprises, sur le même matériel ou sur d’autres, par différents groupes à travers le monde.
These allegations have come as a surprise to the Executive Board at ETH Zurich. Olivier Voinnet is a scientist whose outstanding research findings have been confirmed repeatedly by other research groups,says Günther (le Vice-président de l’ETH en charge de la recherche et des relations institutionnelles).
Or, comme leur a répondu Vicky Vance dans une lettre ouverte publiée dimanche 12 avril :
I have read that the posts showing fabrication of data in the figures of many of Prof. Voinnet’s articles were viewed by some people as having little importance. The rationale being provided is that the results are still valid because other labs have been able to show the same results. That is NOT completely true. The practice of fabrication of data by the Voinnet lab has had serious negative impact on the field of RNA silencing. Many investigators are, in fact, not able to repeat some aspects of his reported results or have conflicting data. However, once results are published in high impact journals by a powerful and important senior investigator such as Prof. Voinnet, there is little chance to get funding to pursue conflicting data and further experimental approaches are stalled.
Pour reprendre la formule des sociologues David Pontille et Didier Torny, if the absence of reproducibility is often considered a clue to falsification, the opposite is not necessarily true
. C’est-à-dire que contrairement aux rayons N et à la mémoire de l’eau qui se sont dégonflés dès le pot aux roses découvert, le domaine des ARN interférents ouvert par Voinnet subsistera après lui. Mais dans quel état ? Le tri entre les résultats valables et les résultats non valables sera considérable, et on réalisera quel coup a été porté contre l’avancée des connaissances et l’éthique scientifique. À cet égard, l’attitude déculpabilisante des tutelles est irresponsable et inadmissible.
D’autre part, la France a un lourd passif en matière de gestion de la fraude scientifique. Revenons un peu en arrière : en septembre 1998, l’éditorial de Science et Vie titré Fraude scientifique : l’exception française
regrettait que
il n’existe en France aucune déontologie scientifique. Nulle protection n’est offerte aux dénonciateurs, qui honorent la science en proclamant la vérité au risque de briser leur carrière. Il est temps de s’attaquer sérieusement au mal. Hélas, quand on lit le communiqué de l’Inserm, qui indique que,
à sa connaissance, aucune mauvaise conduite scientifique de l’unité 391 n’a pu être démontrée, on n’a pas l’impression d’en prendre le chemin…
Ce qui valait l’ire de l’éditorialiste était l’affaire Bihain, du nom de ce chercheur Inserm bardé de contrats industriels qui annonça avoir découvert un gène de l’obésité susceptible de donner naissance à des traitements révolutionnaires… jusqu’à ce que des soupçons de fraude émergent. Le traitement de l’affaire aussi bien par l’Inserm que par le Ministère fut lamentable (comme en témoigne le résumé qu’en fit Nature) et si bien minoré qu’aujourd’hui cet épisode a été oublié (contrairement à la mémoire de l’eau, qui est pourtant plus vieille de 10 ans) et brille par son absence sur la page Wikipédia dudit Bernard Bihain.
Dix ans plus tard, la France faisait encore figure de mauvais élève dans la lutte contre la fraude scientifique, ce qui n’augure pas de bonnes choses pour l’affaire Voinnet. Mais certains observateurs (je protège mes sources !) estiment que ce scandale qui éclabousse un chercheur médaillé d’argent du CNRS, sans doute le premier grand scandale scientifique de l’histoire du CNRS, ne pourra pas être étouffé comme le fut l’affaire Bihain.
Commentaires
L'affaire Voinnet montre qu'il faut en finir avec la culture du "quick and dirty". Faire croire qu'on peut publier deux gros papiers par an et PROPRES est une vaste farce. Le problème est que le recrutement actuel des chercheurs privilégie clairement la quantité à la qualité de la production scientifique.
Louée soit la parole de Vicky Vance, rendue libre par sa position : reconnue scientifiquement, et surtout proche de la retraite, ce qui me fait penser (peut-être à tort) qu'elle n'en a plus rien à faire de la bienséance et de la langue de bois du milieu académique. Elle règle ses comptes avec des faits indéniables, et ça dégage les bronches.
Affligeant notamment le communiqué du CNRS, qui s'est tout de suite placé en mode "damage control" avec des termes creux enrobant la peur de perdre la face...Quel aurait été le traitement d'un postdoc à qui l'on reprocherait les mêmes faits ? Suspension immédiate, interdiction de rendre au labo et d'avoir des contacts avec ses colaborateurs, et conseil disciplinaire dans le mois !
Surtout, l'argument du CNRS (et d'autres observateurs) qui minimisent les faits car "les résultats généraux ne sont pas remis en cause" démontrent une naïveté et/ou une ignorance de la réalité du monde de la recherche. 1/Cette fraude (j'en parle comme d'un fait acquis, même si l'investigation des juges et parties n'est pas terminée, certes) a permis au groupe de Voinnet de publier AVANT d'autres groupes concurrents sur un sujet hyper compétitif (gagnant ainsi reconnaissance, attraction d'autres postdocs et chercheurs invités, évaluation positive par les instances admin et in fine des crédits qui font tourner la boutique) 2/Prenant au mot l'argument des "résultats généraux intacts", je pourrais ainsi publier un papier basé sur deux expériences bien réelles, et ajouter une troisième fictive allant dans le même sens (peu importe si d'autres groupes n'arriveront jamais à reproduire ces résultats) : le papier est plus solide, je peux même pipoter deux-trois indicateurs qui vont aussi dans le sens du message général. Y' pas mort d'hommes, hein !3/Et enfin, comme le précise Vicky Vance dans sa lettre ouverte au CNRS et ETH, elle souligne qu'investiguer le pourquoi du comment d'absence de reproductibilité pour des résultats déjà publiés est une entreprise hasardeuse : par manque d'argent et de temps, aucun labo ne peut se payer ce luxe. Donc c'est une validation des résultats par défaut. Rendant compliquée la tâche de discerner le vrai du faux dans la thématique scientifique de Voinnet.
On est loin du simple copier-coller de contrôle en bas de gels...