Ce malaise, c’est que le prétexte de la “véracité scientifique” ou de la “précision des faits” cache une idéologie pro-science qui est surtout une idéologie du progrès technique et scientifique. Ce qu’avoue ce compte Twitter pseudonyme quand il résume la tribune #NoFakeScience en une mobilisation pour le progrès scientifique, sans comprendre qu’il puisse y avoir une différence entre les deux quand je lui fais remarquer !! J’ai une position ambiguë face au progrès technique et scientifique, n’étant ni collapsologue ni scientiste. Par contre je sais que le climat est bouleversé par l’Homme et que l’agriculture moderne est une pression anthropique considérable sur les milieux. Ces constats, je voudrais qu’ils soient un peu plus défendus par la communauté #NoFakeScience. Or force est de constater qu’elle comporte dans ses rangs Jean-Pierre Sauvage et Jean-Marie Lehn, lesquels ont soutenu publiquement une chronique climatosceptique dans la revue L’Actualité chimique au nom du “doute scientifique”. Ces signataires ont-ils été dénoncés bruyamment par les #NoFakeScience ? Non, malgré leur forte notoriété de prix Nobel.

Alors que le collectif #NoFakeScience tolère les fabricants du doute sur le climat, il est intransigeant sur le moindre faux pas de vulgarisation. Invité dans l’émission “La Méthode scientifique” sur France culture, Pierre-Antoine de la chaîne YouTube et du compte Twitter “Un monde riant”, et co-auteur de la tribune #NoFakeScience, racontait vouloir “faire de la curation scientifique parce qu’il existe de très bons journalistes scientifiques qui produisent de très bons articles et nous on va essayer de leur donner une visibilité supplémentaire”. Du mauvais traitement de la science dans les médias généralistes, les #NoFakeScience passent donc à une guerre déclarée contre ceux qu’ils jugent être de mauvais journalistes scientifiques. Lorsque je me livrais au fact-checking et autre debunking sur mon blog, je corrigeais des journalistes généralistes qui étaient moins “experts” dans la thématique que moi… alors que les #NoFakeScience n’ont aucune gêne à s’attaquer à plus compétent qu’eux !

Prenons l’exemple de David Larrouserie, de l’avis général un excellent journaliste scientifique au Monde, que je cotoie au sein du Café des sciences depuis de nombreuses années et pour qui j’ai un immense respect. Pierre-Antoine l’a épinglé sur Twitter au sujet d’un résutat de recherche en physique quantique, discipline dans laquelle David est titulaire d’une thèse. En cause : un titre et une accroche un peu trop simpliste, qui donneraient une fausse image de la nature de la lumière du soleil et du résultat scientifique rapporté. Je vous épargne les détails : Pierre-Antoine, après un échange avec David, a reconnu qu’il s’était emporté et que cet article ne méritait pas son opprobre :

Néanmoins, il avait entraîné à sa suite les #NoFakeScience, qui réagissent souvent en nombre :

Poussé à argumenter, ce dernier finit par reconnaître que le journaliste a plutôt bien travaillé : Du coup, après lecture complète de l’article, l’intro et le titre donne une idée bien négative de ce qui est finalement plutôt bien.

Enfin, il faut évoquer le cas de Stéphane Foucart, qui subit les mêmes attaques en meute à chacun de ses articles en raison de son parti pris qui déplaît aux #NoFakeScience. Pourtant, Stéphane Foucart connaît très bien sa littérature scientifique et source absolument tous ses articles. Mais voilà, il enquête, ils révèle la manière dont les intérêts privés façonnent ce que l’on sait (ou croit savoir) de l’impact des technosciences sur la santé et l’environnement. Ce parti pris n’est pas une posture ou une lubbie : il est bâti sur un corpus solide de savoirs en sociologie de l’expertise et en droit de la santé et de l’environnement. En effet, et contrairement peut-être aux #NoFakeScience qui semblent peu goûter les SHS, Stéphane Foucart n’ignore pas que les pesticides sont encadrés par une hiérarchie de normes et règlements très complexe, infiltrée par les scientifiques et consultants de l’industrie, qui ont su imposer leur vision afin de minimiser les problèmes que la santé pose au marché des pesticides ; il sait que la toxicologie n’est pas une et indivisible et que plusieurs cultures métrologiques s’affrontent pour déterminer les effets qui peuvent et doivent être mesurés ; il sait que des chercheurs en droit de la santé et de l’environnement ont proposé par conséquent de repenser la notion de seuils comme instrument des politiques publiques.

En bref, alors que les #NoFakeScience devaient s’attaquer à ceux qui manipulent la science et fabriquent de la peur ou du doute, certains de leurs plus bruyants leaders s’en prennent à des journalistes qui s’attaquent à ces derniers (David Larousserie est un de ces redresseurs de torts comme le prouvent ses interventions sur Acrimed) et inventent toutes sortes d’intox pour les rabaisser. Je pose la question : est-ce qu’on veut continuer à taper sur les journalistes scientifiques qui prennent un raccourci ici ou là, ou est-ce qu’on s’attaque aux vrais problèmes de ceux qui nient sciemment la science ou la manipulent pour arriver à leurs fins — avec en général de gros intérêts économiques derrière ??

Je pense que beaucoup de signataires #NoFakeScience, séduits par la défense de la science et la lutte contre les obscurantistes, n’ont pas eu conscience de ces enjeux. Mais comme souvent, c’est plus compliqué. J’espère que ce billet aura contribué à déciller quelques yeux….