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mercredi 31 mai 2006

La peste (3)

Concluons avec des remarques d'ordre médical et scientifique...

Au XIVe siècle, nul n'avait entendu parler des microbes. Les gens ignoraient le mode de propagation des maladies et pensaient que la peste noire était une punition divine, répandue par des brumes empoisonnées qui flottaient sur la campagne, par le regard d'un mort, par magie. (Connie Willis, Le Grand Livre)

(…) je ne puis voir sans étonnement certaines gens, maintenant que la contagion est passée, en parler comme d'un coup directement envoyé du Ciel, sans aucune entremise, avec pour mission de frapper telle ou telle personne en particulier et nulle autre, ce que je considère avec mépris comme l'effet d'une ignorance et d'un fanatisme manifestes ; de même que l'opinion de certaines autres qui prétendent que l'infection est propagée par l'air seul, transportant une multitude d'insectes et de créatures invisibles qui pénètrent dans le corps avec la respiration ou même par les pores avec l'air ; là, ils engendreraient ou émettraient des poisons des plus intenses ou des ovae ou œufs empoisonnés qui se mêleraient au sang, infectant ainsi le corps ; discours plein d'une docte niaiserie, comme le montre l'expérience générale. (Daniel Defoe, Journal de l'année de la peste)

Ecoutant, en effet, les cris d'allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu'on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu'il peut rester pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, qu'il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, le jour viendrait où, pour le malheur et l'enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. (Albert Camus, La Peste)

lundi 29 mai 2006

La peste (2)

Quelques citations sur la vie avec la peste au jour le jour...

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
À chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie,
Ni loup ni renard n'épiaient
La douce et l'innocente proie ;
Les tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie. (Jean de la Fontaine, "Les Animaux malades de la peste" in Fables)

Dans le souvenir de ceux qui les ont vécues, les journées terribles de la peste n'apparaissent pas comme de grandes flammes interminables et cruelles, mais plutôt comme un interminable piétinement qui écrasait tout sur son passage. Non, la peste n'avait rien àvoir avec les grandes images exaltantes qui avaient poursuivi le docteur Rieux au début de l'épidémie. Elle était d'abord une administration prudente et impeccable, au bon fonctionnement. (Albert Camus, La Peste)

Tous sont terrifiés, mais ils font de leur mieux. [Le père] Roche est admirable. Il a tenu la main de l'épouse du bailli pendant tout le temps qu'il m'a fallu pour l'examiner. Il ne renâcle jamais devant les tâches les plus rebutantes: nettoyer la plaie de Rosemonde, vider les vases de nuit, laver le clerc. Rien de tout cela ne semble l'effrayer. Je me demande où il puise tant de courage. (Connie Willis, Le Grand Livre)

Mais le plus dangereux effet de l'épuisement qui gagnait, peu àpeu, tous ceux qui continuaient cette lutte contre le fléau, n'était pas dans cette indifférence aux évènements extérieurs et aux émotions des autres, mais dans la négligence où ils se laissent aller. Car ils avaient tendance alors àéviter tous les gestes qui n'étaient pas absolument indispensables et qui leur paraissaient toujours au-dessus de leurs forces. C'est ainsi que ces hommes en vinrent ànégliger de plus en plus souvent les règles d'hygiène qu'ils avaient codifiées […]. Làétait le vrai danger, car c'était la lutte elle-même contre la peste qui les rendait alors le plus vulnérable àla peste. Ils pariaient en somme sur le hasard et le hasard n'est àpersonne. (Albert Camus, La Peste)

Tel est le tempérament irréfléchi de notre peuple [londonien] (je ne sais s'il en va de même ailleurs dans le monde et ce n'est pas mon affaire de le savoir, mais je l'ai bien vu paraître ici) : tout comme dans la première terreur de l'infection les gens s'évitaient les uns les autres et s'enfuyaient des maisons et de la cité avec une peur irraisonnée et, àmon avis, inutile, àprésent que l'idée se répandait que la maladie ne s'attrapait plus aussi facilement et que, même si on la contractait, elle n'était plus aussi mortelle, àprésent que l'on voyait journellement se rétablir nombre de gens qui avaient été réellement malades, l'on se prit avec empressement d'un tel courage, l'on devint si insoucieux de soi-même et de l'infection que l'on ne fit pas plus de cas de la peste que de quelque fièvre ordinaire, sinon même moins. Non seulement on osait se rencontrer en société avec ceux qui avaient des tumeurs et des pustules suppurantes et par conséquent contagieuses, mais même on mangeait et on buvait avec eux ; que dis-je? on allait les voir dans leur propre maison et, m'a-t-on dit, jusque dans leur chambre de malade. (Daniel Defoe, ''Journal de l'année de la peste'')

dimanche 28 mai 2006

La peste (1)

Voici donc mes citations choisies et croisées sur le thème de la peste. Commençons par des considérations générales sur l'épidémie...

Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. (Albert Camus, La Peste)

Ici, nous pouvons observer — et j'espère qu'il ne sera pas mal àpropos de le noter — que la perspective d'une mort prochaine aurait vite fait de réconcilier entre eux les hommes de bons principes et que c'est surtout àcause des conditions faciles de notre existence et de l'habitude que nous avons d'écarter ces questions de notre pensée que sont fomentées nos divisions, que s'entretiennent les rancunes, les préjugés, les manquements àla charité et àl'unité chrétiennes que l'on voit si tenaces et si poussées parmi nous. Une autre année de peste réconcilierait toutes ces querelles ; des rapports assez proches de la mort ou avec certaines maladies menaçant de mort écumeraient l'amertume de nos humeurs, feraient disparaître nos animosités mutuelles et nous feraient voir les choses d'un œil tout différent. (Daniel Defoe, Journal de l'année de la peste)

Et deux allusions acerbes àun évènement récurrent, la fuite de la cour, du roi ou du parlement de Londres, en période d'épidémie :

De même que l'on fuyait àprésent loin de la ville, je dois faire remarquer que la Cour était partie de bonne heure, dès le mois de juin, et s'était installée àOxford, où il plut àDieu de la préserver. La maladie n'en toucha, que je sache, aucun membre; mais il faut avouer que jamais on n'en vit le moindre faire montre de reconnaissance, et guère de réformation personnelle, en dépit de tous les avertissements signalant àtous ces gentilhommes — sans entorse àla charité — que leurs vices criants n'avaient sans doute pas peu contribué àattirer ce terrible jugement sur la nation entière. (Daniel Defoe, Journal de l'année de la peste)

In later years, Reading seems to have been regarded as a handy place to run down to, when matters were becoming unpleasant in London. Parliament generally rushed off to Reading whenever there was a plague on at Westminster; and in 1625, the Law followed suit, and all the courts were held at Reading. It must have been worth while having a mere ordinary plague now and then in London to get rid of both the lawyers and the Parliament. (Jerome K. Jerome, Three Men in a Boat)