Quelques citations sur la vie avec la peste au jour le jour...

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés
À chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie,
Ni loup ni renard n'épiaient
La douce et l'innocente proie ;
Les tourterelles se fuyaient :
Plus d'amour, partant plus de joie. (Jean de la Fontaine, "Les Animaux malades de la peste" in Fables)

Dans le souvenir de ceux qui les ont vécues, les journées terribles de la peste n'apparaissent pas comme de grandes flammes interminables et cruelles, mais plutôt comme un interminable piétinement qui écrasait tout sur son passage. Non, la peste n'avait rien àvoir avec les grandes images exaltantes qui avaient poursuivi le docteur Rieux au début de l'épidémie. Elle était d'abord une administration prudente et impeccable, au bon fonctionnement. (Albert Camus, La Peste)

Tous sont terrifiés, mais ils font de leur mieux. [Le père] Roche est admirable. Il a tenu la main de l'épouse du bailli pendant tout le temps qu'il m'a fallu pour l'examiner. Il ne renâcle jamais devant les tâches les plus rebutantes: nettoyer la plaie de Rosemonde, vider les vases de nuit, laver le clerc. Rien de tout cela ne semble l'effrayer. Je me demande où il puise tant de courage. (Connie Willis, Le Grand Livre)

Mais le plus dangereux effet de l'épuisement qui gagnait, peu àpeu, tous ceux qui continuaient cette lutte contre le fléau, n'était pas dans cette indifférence aux évènements extérieurs et aux émotions des autres, mais dans la négligence où ils se laissent aller. Car ils avaient tendance alors àéviter tous les gestes qui n'étaient pas absolument indispensables et qui leur paraissaient toujours au-dessus de leurs forces. C'est ainsi que ces hommes en vinrent ànégliger de plus en plus souvent les règles d'hygiène qu'ils avaient codifiées […]. Làétait le vrai danger, car c'était la lutte elle-même contre la peste qui les rendait alors le plus vulnérable àla peste. Ils pariaient en somme sur le hasard et le hasard n'est àpersonne. (Albert Camus, La Peste)

Tel est le tempérament irréfléchi de notre peuple [londonien] (je ne sais s'il en va de même ailleurs dans le monde et ce n'est pas mon affaire de le savoir, mais je l'ai bien vu paraître ici) : tout comme dans la première terreur de l'infection les gens s'évitaient les uns les autres et s'enfuyaient des maisons et de la cité avec une peur irraisonnée et, àmon avis, inutile, àprésent que l'idée se répandait que la maladie ne s'attrapait plus aussi facilement et que, même si on la contractait, elle n'était plus aussi mortelle, àprésent que l'on voyait journellement se rétablir nombre de gens qui avaient été réellement malades, l'on se prit avec empressement d'un tel courage, l'on devint si insoucieux de soi-même et de l'infection que l'on ne fit pas plus de cas de la peste que de quelque fièvre ordinaire, sinon même moins. Non seulement on osait se rencontrer en société avec ceux qui avaient des tumeurs et des pustules suppurantes et par conséquent contagieuses, mais même on mangeait et on buvait avec eux ; que dis-je? on allait les voir dans leur propre maison et, m'a-t-on dit, jusque dans leur chambre de malade. (Daniel Defoe, ''Journal de l'année de la peste'')