J'avais envie de ce billet depuis longtemps, et ce sont deux événements récents qui l'ont mis en branle. D'abord, le billet du blog "Vulgaris" qui se demande s'il faut continuer à vouloir susciter des vocations scientifiques, et la réponse (outrée) de Chloé. Ensuite, c'est le lancement prochain d'un manifeste pour une médiation scientifique auto-critique, responsable et émancipatrice — dont on reparlera très vite.

À quoi sert la vulgarisation, donc. Vous savez déjà que je ne suis pas dupe, et que l'industrie de la vulgarisation scientifique profite surtout à elle-même. Je rejoins également Marine quand elle affirme qu'au final tout ça, n’est souvent qu’une vaste entreprise de légitimation (sincère) de la science et de la recherche par les acteurs de la science et de la recherche. Mais il reste des bonnes raisons de vouloir vulgariser[1], et le pluriel est important puisque ces raisons séparent souvent des associations qui semblent pourtant sorties du même moule de "la science pour tous".

 

Vulgariser pour "participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent"

Ce n'est pas moi qui le dit mais la Déclaration universelle des droits de l'homme, dans son article 27 : Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. C'est très beau, ça a pu inspirer dans les années d'après-guerre mais j'ignore si des initiatives de vulgarisation continuent à s'en revendiquer. Au-delà de l'idée d'égal accès à un progrès matériel et à ses bienfaits (médecine, informatique…), j'interprète cette injonction de manière large : les scientifiques changent le monde, et ils doivent expliquer (à tout le monde !) comment ils le changent !

 

Vulgariser pour former des futurs scientifiques

Quoiqu'en dise Chloé, l'argument de la désaffection des filières est l'un des plus fréquemment retenus pour justifier les initiatives de vulgarisation scientifique, qu'elles soient formelles (la main à la pâte) ou informelles (festivals de science, productions audiovisuelles, musées et centres de science…). Si l'on touche plus de jeunes, alors on repeuplera les laboratoires, les centres d'ingénierie et les départements de R&D — pour le plus grand bonheur des scientifiques du pays, de leurs associations professionnelles et du PIB. Ca marche… mais pas partout :

la volonté de devenir scientifique ou ingénieur dans les pays plus pauvres peut s'interpréter du fait de leur moindre développement socio-économique. Beaucoup d'entre eux se situent au niveau auquel se trouvait l'Europe après la Seconde guerre mondiale. Il s'agissait alors de reconstruire. Les ingénieurs et les scientifiques étaient des héros. Leur aura poussait les enfants vers les études scientifiques et techniques. Je pense qu'aujourd'hui les pays les moins avancés se trouvent dans une situation comparable.

Il faut admettre que plus un pays est développé, moins ses étudiants souhaitent devenir scientifiques ou ingénieurs. Ces disciplines ne leur apparaissent pas suffisamment importantes et significatives. Elles semblent "hors du coup" et obsolètes. Mais il est intéressant de noter que des domaines mieux cotés – comme la biologie, la médecine et les études de vétérinaire, les sciences de l'environnement – ne souffrent pas du même manque d'étudiants. Pour ces jeunes, travailler sur des défis dans les domaines de la santé ou de l'écologie a plus de sens que de se plonger dans la physique, les maths ou la technologie.

 

Vulgariser pour former des citoyens éclairés et critiques

La place de la science dans notre société fait des connaissances scientifiques le bagage indispensable de tout futur citoyen, à la fois en terme de connaissances et de méthodes ou valeurs. Sauf que cela peut être lu dans les deux sens : en général, les gouvernants estiment qu'un peuple mieux informé prendra de meilleures décisions (c'est-à-dire celles que lui-même défend). Si on explique largement les nanos, alors on aura les citoyens derrière nous. Sauf que ça ne marche pas comme ça… À l'inverse, il peut s'agir d'une vraie volonté d'empowerment des citoyens, et de les former pour les faire participer aux choix scientifiques et techniques. Tout est question de démarche, de processus, et de contenu…

 

Vulgariser pour engager la conversation

Et si finalement la vulgarisation n'était qu'un prétexte à faire des activités, rencontrer du monde, échanger autour de questions et préoccupations communes — et finalement à créer du lien social ? C'est une hypothèse forte, que j'assume de plus en plus. J'ai cru comprendre que ce fut un temps l'ambition du festival Paris-Montagne, mais il se recentre aujourd'hui sur l'idée de faire passer les valeurs positives portées par la science. Cet objectif de "conversation" est important, et sans doute plus universel que les autres, mais il joue beaucoup moins sur les cordes sensibles des financeurs et institutionnels de la recherche… Alors forcément il disparaît des objectifs affichés de la CST, et c'est bien dommage ! :(

Notes

[1] J'utilise ici le terme "vulgarisation", moins glamour que "médiation" ou "communication", parce que c'est surtout ce courant "classique" qui m'intéresse.